STAMATIS SPANOUDAKIS-A Piece Of My Soul
Metin Demiralay Photography
Extrait de Les misérables de Victor Hugo.
Disons-le en passant,être aveugle et être aimé,c'est en effet,
sur cette terre où rien n'est complet,une des formes les plus
étrangement exquises du bonheur.
Avoir continuellement à ses côtés une femme,une fille,
une soeur,un être charmant,qui est là parce que vous
avez besoin d'elle et parce qu'elle ne peut se passer
de vous,se savoir indispensable à qui nous est nécessaire,
pouvoir incessamment mesurer son affection à la quantité
de présence qu'elle nous donne,et se dire:
puisqu'elle me consacre tout son temps,c'est que j'ai tout
son coeur;voir la pensée à défaut de la figure,
constater la fidélité d'un être dans l'éclipse du monde,
percevoir le frôlement d'une robe comme un bruit d'ailes,
l'entendre aller et venir,sortir, rentrer,parler, chanter,
et songer qu'on est le centre de ces pas,de cette parole,
de ce chant,manifester à chaque minute sa propre attraction,
se sentir d'autant plus puissant qu'on est plus infirme,
devenir dans l'obscurité,et par l'obscurité,l'astre autour
duquel gravite cet ange,peu de félicités égalent celle-là.
Le suprême bonheur de la vie,c'est la conviction qu'on
est aimé;aimé pour soi-même,disons mieux,aimé malgré
soi-même;cette conviction,l'aveugle l'a.Dans cette
détresse,être servi,c'est être caressé.Lui manque-t-il
quelque chose?Non.Ce n'est point perdre la lumière
qu'avoir l'amour.Et quel amour! un amour entièrement fait
de vertu.Il n'y a point de cécité où il y a certitude.
L'âme à tâtons cherche l'âme,et la trouve.Et cette âme
trouvée et prouvée est une femme.Une main vous soutient,
c'est la sienne;une bouche effleure votre front,c'est
sa bouche;vous entendez une respiration tout près de vous,
c'est elle.Tout avoir d'elle,depuis son culte jusqu'à
sa pitié,n'être jamais quitté,avoir cette douce faiblesse
qui vous secourt,s'appuyer sur ce roseau inébranlable,
toucher de ses mains la providence et pouvoir la prendre
dans ses bras,Dieu palpable,quel ravissement!
Le coeur,cette céleste fleur obscure,entre dans un épanouissement
mystérieux.On ne donnerait pas cette ombre pour toute
la clarté.L'âme ange est là,sans cesse là;si elle
s'éloigne,c'est pour revenir; elle s'efface comme le rêve
et reparaît comme la réalité.On sent de la chaleur qui
approche,la voilà.On déborde de sérénité, de gaîté et
d'extase; on est un rayonnement dans la nuit.
Et mille petits soins. Des riens qui sont énormes dans
ce vide. Les plus ineffables accents de la voix féminine
employés à vous bercer,et suppléant pour vous à l'univers
évanoui. On est caressé avec de l'âme.On ne voit rien,
mais on se sent adoré.C'est un paradis de ténèbres.
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